Faut-il dormir avec son enfant?


J‘ai entendu souvent que les enfants dorment dans le lit de leurs parents tout ou une partie de la nuit. J’ai aussi constaté que les parents qui pratiquent le cosleeping tardif se sentent obligés de le justifier. Certains vous assurent que les enfants ne pensent pas à mal, qu’ils en ont besoin pour s’endormir, que c’est un plaisir à ne pas refuser à son enfant, que « dans notre famille c’est une habitude qui se transmet de génération en génération ». Au sein des familles monoparentales, des mères acceptent volontiers de s’endormir avec leur fils ou fille même après 5 ou 6 ans, certaines jusqu’à 15 ans.

On m’oppose souvent que l’inceste ou son contournement est une idée démoniaque qui ne se trouve pas dans la tête de nos chérubins. C’est peut être une façon élégante de me dire que cette perversion n’existerait que dans mon esprit de psy, supposé torturé. Je renonce temporairement à nos connaissances sur l’Œdipe et sur l’angoisse de castration (pardon à Freud) et je me propose de recenser les raisons, hors le tabou de l’inceste, qui s’opposent foncièrement à cette pratique.

Apprendre à s’endormir.

Les parents ont pour mission d’éduquer leur enfants, de leur apprendre la vie hors même le sens de celle-ci , de leur enseigner comment s’intégrer dans la société, comment se prendre en charge, comment s’autonomiser. Leur devoir est aussi d’apprendre à leurs enfants à s’endormir seul. Cette capacité leur servira toute la vie. A ce sujet, le lecteur aura profit à lire l’article mettre nos enfants au lit une solution gagnant-gagnant.

Nous dormons moins que nos enfants.

Dormir dans le lit de ses parents oublie la règle des différences de cycles et de besoins de sommeil. Puisque les enfants ont besoin de plus de sommeil que les adultes, il apparait fâcheux de dormir ensemble.

Leurs souvenirs d’enfance sont sacrés.

Dormir avec son parent constitue sans conteste une expérience forte en émotions. L’odeur du corps, sa position dans le sommeil, le contact de la peau, resteront comme autant de souvenirs d’enfance qui imprimeront mentalement les modalités du bien-être nocturne. Ces même mères qui accueillent leur enfants dans le lit accepteront moins de savoir leur enfant, devenu adulte, attaché à des personnes ayant la même odeur, le même ronflement, le même grain de peau, la même haleine qu’elles. Elles seront souvent choqués d’apercevoir dans leur gendre ou bru une particularité physique ou physiologique.

Qui endort qui?

Enfant, nous fantasmons de réparer notre parent. Nous aménageons la culpabilité de ce plaisir volé au lit de notre parent en nous rêvant en charge de son endormissement.. Le désaveu d’une oblativité radicale du parent viendra étayer cette croyance. Cette fantaisie chevaleresque est anodine si elle s’éteint à l’âge adulte, mais ma pratique me fait rencontrer trop de femmes encore aliénées à leur mère et à cette créance imaginaire de la réparer.

L’enfant roi.

Un enfant est un roi. Son royaume est sa mère. Il mettra longtemps à se sevrer de ce règne. Il le fera malgré lui, contre lui. Allongé dans le lit de sa mère, chaque nuit, il aura une confirmation de ce droit régalien d’empiéter sur le domaine parental. Naturellement, cette licence ouvre droit à d’autres, à toutes les autres, pensera-t-il. Il devient absurde de lui interdire la moindre chose au cours de la journée, à lui qui aura la nuit toutes les permissions. Les mères me disent que leur enfant est « mon petit tyran » à qui elles ne peuvent refuser le lit parental. Elles se trompent. Ces enfants sont des tyrans parce qu’ils dorment dans le lit de leurs parents.

Pas de sexe ce soir.

J’ai promis de ne pas parler d’inceste. Je ne m’abstiens pas cependant de parler de sexe. Un enfant dans le lit de ses parents pénètre dans la sphère intime. Cette déprivatisation génèrera des conséquences imprévues (cf.plus loin dans la vignette clinique). Elle contrarie mécaniquement les rapports sexuels du couple parental, ou l’auto-érotisme de son parent dans les familles mono parentales. L’enfant se transforme, en ce qu’il ne souhaite pas, un supplétif d’une police des mœurs.

On se passerait bien de ce privilège.

Même s’ils sont nombreux, les enfants qui dorment dans le lit de leurs parents savent qu’ils sont différents. Ils auront entendu souvent « il ne peut pas dormir autrement », « il est comme cela depuis tout petit ». Nous souhaitons et prions pour que nos enfants soient singuliers mais nous préférerions que cette singularité se déploie dans leurs réalisations plutôt que dans leur mode d’endormissement.

Pas de Freud, mais un peu de Lacan

Une jeune fille de 11 ans dormait chaque nuit avec sa mère célibataire. Elle doublait cette cohabitation nocturne de l’utilisation d’un doudou, cet objet transitionnel censé pourtant l’aider à se séparer de sa mère. Dans cette double emprise de sa mère, cette enfant refusait définitivement l’individuation. Peu autonome, elle défendait son espace en chassant tout intrus. Elle ne refusait pas seulement de grandir mais aussi de se socialiser. Elle invitait rarement chez elle des camarades de classe, quittait peu son foyer, trouvait difficilement à s’occuper toute seule. Lorsque sa mère décide de refaire sa vie et partage son lit avec un homme, cet enfant perd son droit régalien et réagit de façon disproportionnée. Après une guerre ouverte de plusieurs mois, l’homme est chassé. Durant cette période difficile, l’enfant pratiquait un jeu de façon compulsive. Elle découpait, sans autorisation, dans les magazines de sa mère des photos, articles, éléments divers qu’elle répandait ensuite sur la table à manger, obligeant sa mère à les voir puis à les rassembler pour les ranger. A l’inversion des valeurs que constituait l’autorisation de dormir dans le lit de sa mère, elle avait substitué ce jeu métaphorique: elle rendait « coupable » ce qui ne l’était pas. Coupable signifie condamnable mais aussi propre-à-être-découpé.

6 réflexions au sujet de « Faut-il dormir avec son enfant? »

  1. article très juste , je dois conseiller et les parents dans le cadre de mon métier régulièrement à ce sujet.
    votre article peut me servir de support .
    il y aurait temps d’anecdotes à raconter.
    en tant que tiers je m’évertue à conseiller aider et surtout ne pas juger , les parents se sentants coupable renforcent souvent leur position.

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