Il existe un mythe très répandu qui concerne les amours perdues.
Amours égarées
Ils étaient jeunes, ils avaient grandi dans la même ville, étaient allés à l’école ensemble, ils avaient connu un flirt d’un an ou plus. Mais ils se sont séparés suite à une difficulté, une situation difficile, ou une désapprobation parentale. Des années plus tard, ils se retrouvent. Ils sont alors célibataires, veufs ou divorcés. Malgré les difficultés rencontrées à l’époque, ils avaient gardé un fort désir de se retrouver.
J’appellerai ces amours, des amours égarées plutôt que perdues, pour donner à comprendre que des retrouvailles sont restées tout au long de l’existence, une contingence, une espérance secrète, escamotée par une autre vie.
Cette situation est souvent unilatérale. Une des deux personnes ne s’est jamais consolée de l’ancienne romance et reste obsédée par ce ratage. Elle en garde un attachement résiduel.
Un affect trompeur
La séparation a pu être associée à un épisode douloureux. Le couple, par exemple, n’avait pas réussi à s’entendre sur une grossesse non voulue et un avortement avait brisé l’histoire. Si en plus la femme a rencontré une difficulté à concevoir un enfant dans le mariage qui a suivi, elle continuera à ruminer les non dits et les dilemmes de l’époque. Elle se demandera ce qui ce serait advenu s’ils étaient restés ensemble, s’ils avaient gardé le bébé.
Ces situations véhiculent des émotions fortes et ce profond affect sera interprété à tort comme un sentiment d’amour persistant, une envie de se revoir, de retourner à l’endroit de la douleur non dépassée, du crime resté impuni.
Le rêve enfantin sera de reprendre contact avec l’ex, de tenter de réparer l’histoire en la réécrivant. Le traumatisme non purgé dans l’ancien lien donnera un sens sa ré-actualisation. Mais ce lien ne survit que dans le traumatisme et procédera plus du combat intérieur de l’ex que dans un attachement à l’autre.
Si l’ancien partenaire décide de reprendre contact, l’anxiété longtemps écartée doublée d’un haut degré d’émotions érotisera une nouvelle relation à construire. Mais cela ne signifie en rien que ces deux là sont faits l’un pour l’autre.
Une autre situation d’amour égaré survient lorsqu’un parent meurt durant la romance adolescente. La détresse de l’endeuillé(e) s’était tourné vers le petit ami ou la petite amie pour trouver un soutien. Un lien fort s’est alors enraciné durablement dans l’imaginaire consistant en une empreinte affective profonde. Avec cet événement dramatique, une plaie s’est ouverte et l’affect de la romance associée reste vivant. Cela ne signifie pas que le couple continue d’exister.
Autre exemple: après une longue relation, un des deux quitte l’autre subitement et par une décision unilatérale met fin à la romance, laissant le partenaire abandonné dans le questionnement. L’ex devient le centre d’un amour égaré; la personne qui a disparue devient une question sans réponse, un dilemme. L’amour égaré acquiert une importance dans ce doute et la persistance de la question est interprétée comme un sentiment d’amour. La romance ne s’est pas épuisée mais a été coupé en vol. – Je ne peux m’empêcher de penser encore à lui,dira-t-elle.
Nous n’aimons pas les fins
Cette persistance procède évidemment de notre difficulté à renoncer, à abandonner, à terminer, adossée à notre terreur de vieillir et de mourir. Ce qui réifie notre blessure d’enfant sevré.
Mêmes si certaines amours égarées seront retrouvées et ressuscitent, il est rare que le réalité donne raison à la nostalgie.
A l’autre bout de l’équation, ce sentiment amoureux persistant aliénera l’engagement du lien amoureux au sein du couple qui suivra. Et si des années plus tard, le couple usé envisage de divorcer, l’idée de ce divorce sera soutenue par cet ancien espoir jamais abandonné.
Ces personnes devront parler de cette ancienne romance, épuiser l’affect associé et tuer l’espoir vain et délétère dans un processus de deuil. Il en va de leurs futures amours.
Lorsqu’enfant, nous avons quitté la primaire pour entrer au collège nous avons dû quitter d’une façon définitive le cm2 sans envisager d’y retourner un jour. A ce prix nous avons poursuivi notre scolarité. Nos amours perdues doivent connaître le même sort , celui d’être des étapes de notre formation et de notre chemin de vie.
En parler pour oublier ou pour transformer
Nous devons en faire le deuil, par la parole. Pour Freud, le deuil consiste en la consomption de la libido fixée à l’objet. A ce désistement, on pourra préférer une transformation des modalités du lien. L’ancien partenaire pourra , dans une romance revisitée, devenir un ami, un confident ou au contraire un ennemi. Car si le deuil doit épuiser les affects associés au lien amoureux, il trouvera aussi sa voie dans une déconstruction-reconstruction. Il lui est interdit de figer mentalement une situation. Sinon, le fantôme de l’ancien partenaire créera le mythe.