Solitudes.


Qu’est ce qui nuit à nos relations, à notre créativité et notre tranquillité d’esprit? Une réponse paradoxale, en cette époque de facebook et de téléphones cellulaires, est un manque de solitude. Car la solitude permet de se reconnecter aux autres d’une manière beaucoup plus riche.

Lâcher priseS

Nous vivons dans une société qui pense l’interdépendance comme un enrichissement; notre époque est overconnectée. Maintenant, plus que jamais, nous avons besoin d’instants de solitude. Être seul nous ouvre la possibilité de réguler et d’ajuster nos vies, nous apprend le courage et la capacité à satisfaire nos propres besoins, restaure notre énergie. La solitude est un combustible pour la vie.

Une jeune femme m’a confié que son mari était un compagnon merveilleux, et leur intimité remarquable. Pourtant chaque matin elle aime à boire son café et lire son journal seule. Elle ne renoncera pas à cette période de solitude en échange de plus de partage ou plus de sexe; ces matins solitaires constituent un fondement de leur intimité ordinaire.

Être seul et s’engager dans des relations avec les autres sont les deux choses essentielles au bonheur et à la survie, ceux ci à égalité. La nature réclame la solitude. Elle nous a donné le sommeil, période de solitude absolue, de perlaboration,et de rêves . L’augmentation des troubles du sommeil et de la vente de somnifères sont autant de signes de notre refus de la solitude.

L’un n’empêche pas l’autre

Notre erreur est de croire que les états de solitude et de lien à l’autre sont antagonistes. Ils sont en désaccord seulement quand ils sont vécus dans une opposition. En vérité, une situation enrichit profondément l’autre. Toutes les significations contemporaines de « seul » impliquent un manque de quelque chose. Invariablement, la solitude s’oppose au contrat social, si elle n’est sa forclusion. « Faire cavalier seul » consiste en des activités antisociales et en des risques inutiles. Le plus frappant: les deux mots anglais loneliness (état de l’homme seul) et solitude (état de l’homme sans liens) n’ont qu’une seule traduction en français : la solitude.

La solitude, comme l’anxiété ou la culpabilité, fait partie de la condition humaine. Elle nous donne à croire que ne sommes pas compris ou pensés par l’autre, parce qu’isolés de la communauté et de ses connexions. Étrangement, elle nous dit aussi que nous ne prenons pas le temps d’être en contact avec nos intérieurs, notre intimité, notre privauté; un temps d’être en contact avec nous même.

Les patients me parlent de leurs amants, famille ou amis, de leur peur de la solitude cependant que je reste frappé par leurs expressions de gratitude lorsqu’ils parlent d’un temps pour eux pour, par exemple, s’engager dans des activités propres. Comme des prisonniers qui s’accorderaient une libération conditionnelle.

Nous ne sommes pas que grégaires

Il n’est pas nécessaire de rentrer dans un couvent pour se donner un temps pour soi. Nous pouvons expérimenter ce « rassemblement avec soi » au milieu de la foule, ou en famille. D’ailleurs, le mot «couvent» vient du latin convenir, qui signifie se rencontrer. La contemplation est souvent décrite comme le mode privilégié pour parvenir à la paix spirituelle. Les pèlerinages religieux ont cours encore aujourd’hui, mais sont plus courts. Les bouddhistes continuent de vivre dans un état de pèlerinage vers soi, car ils considèrent la vie comme une série de moments présents qui nous appellent à un état de non-attachement et, dans le même temps, d’unité avec Dieu.

Pour la religion, il faut donner du temps à la solitude. Le livre de la Genèse établit cette fondation. Au sein de l’histoire de la création, Dieu a établi le samedi, le chabbat, comme un jour de repos en rupture avec tous les autres, pour contempler la vie et les Écritures, pour se regrouper sur soi même dans la prière. Nous pouvons faire la même chose, si nous prenons une journée de repos pour nous-mêmes, ou une heure de prière silencieuse, ou même quelques minutes de méditation.

Ne m’abandonne pas

Sommes-nous capables de le faire au milieu des ordinateurs et des cellulaires, des Blacberry, des écrans de télévisions et de jeux vidéo en réseau. Ou sommes-nous devenus incapables de vivre dans l’instant, sauf lors d’une panne d’ordinateur?

Aujourd’hui, être « online » semble être la manière occidentale de répondre à nos besoins de compagnie mais à quel prix. Nous répudions tout plaisir de la solitude et sa modalité de hic et nunc.

-C’est l’enfer avec lui et c’est l’enfer sans lui est la phrase souvent utilisée pour décrire la vie en couple. Les relations à long terme seraient elles impossibles? Je propose de nous reconnaitre un besoin de moments de solitude. Ce besoin de moments à soi grandit de plus en plus au fur et à mesure que nous vieillissons. En miroir, le nombre de couples qui se séparent ou divorcent augmente.

Après la première phase d’inséparabilité extatique, les conjoints ressentent le besoin de se retrouver séparément face à eux même. Quand nous observons la dynamique des relations de couples à travers une problématique de la solitude, notre compréhension des permutations et fixations devient efficiente. Les disputes apparaissent lisibles. Souvent nos colères sont tout simplement l’affirmation de ce besoin de retranchement, pour assainir l’air et pour « respirer » dans une distance avec notre partenaire.

Dans mon cabinet, chez les patients, hommes ou femmes qui parlent d’un désir de rompre avec leurs proches, j’ai entendu cette énorme envie d’être seul, apparié avec l’angoisse de se séparer. En raison de nos croyances confuses au sujet de la solitude, nous sommes beaucoup plus susceptibles de nous plaindre à un thérapeute ou à un ami: -J’ai des problèmes avec l’intimité que de dire: -J’ai besoin d’être seul plus souvent. Nous nous demandons, gênés, si en ayant du plaisir seul, nous sommes infidèles à notre conjoint.

Je suggère d’apprendre à voir la solitude comme une partie de l’expérience ordinaire plutôt qu’une barrière construite contre l’implication avec le monde.

Ne me quitte pas

Alors, comment pouvons-nous négocier un temps pour soi de solitude? Des expressions telles que « J’ai besoin d’espace, d’un sas de décompression » vexent, car ils seraient l’expression d’un rejet déguisé. Les gens se rencontrent. Ils sondent mutuellement leurs goûts et points communs. Les questions glissent, deviennent sérieuses. «Où veux tu vivre? Veux tu des enfants? » Ajoutons à ces entretiens d’embauche du couple sociétal: « Aimes-tu rester seul et combien de fois ? ». Voici ce qui serait un changement significatif.

Alors la plupart des individus idéalisés devient des êtres humains ordinaires. Avec la réapparition de cette réalité, l’agitation née de trop peu solitude devient apparente. Les couples apprennent à aménager cette impasse de l’habitude par une renégociation de la quantité du temps passé ensemble et du temps passé seul.

En tant qu’individus dans une relation, les gens se transforment constamment les uns les autres. L’engagement peut être un sacrement ou une chaîne autour du cou. Un moment de solitude nous permet de réfléchir et d’arranger les choses. Il n’est pas seulement un moyen d’échapper à ce collage et à cette emprise symétrisée mais plutôt de trouver un chemin de retour vers l’autre grâce à la simple contemplation.

Re-pense toi

Nous connaissons tous des artistes créateurs célibataires. La solitude est une voie importante vers la créativité. L’artiste en chacun prendra le risque d’une déconnexion, pour se forger une vie heureuse et utile.

La solitude est nécessaire aussi pour permettre à l’inconscient de traiter et de démêler les problèmes. Nous avons besoin de calme pour comprendre les choses, pour voir émerger de nouvelles découvertes, pour déterrer des réponses originales. Se laisser glisser dans la rêverie s’avère extrêmement productif. Les temps de solitude sont les grands protecteurs de l’esprit humain Mes patients dénouent leur dilemme, dans l’après coup de la séance, une fois seul. Dès qu’ils me quittent, moi aussi.

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