L’autre scène, de l’inconscient aux planches.


Le 15 octobre 1897, dans une lettre adressée à l’ami Wilhelm Fliess, Freud pose une des pierres de touche angulaire de la théorie psychanalytique: le complexe d’Œdipe. La légende grecque s’empare d’un inévitable que chacun repère et reconnait car il en a ressenti l’existence en lui-même. Chaque auditeur a été un jour en germe et en fantaisie cet Œdipe. Devant un tel accomplissement du rêve transporté ici dans la réalité, il recule d’épouvante avec toute l’énergie de la résistance, de cette résistance qui puise son énergie du refoulement qu’elle protège. Les métaphores théâtrales, (L’autre scène pour l’inconscient, la scène originaire pour le  spectacle du rapport sexuel entre les parents) et les emprunts aux auteurs (Sophocle, Shakespeare, Schiller, Goethe) seront autant de témoignages de l’intérêt de Freud pour le théâtre. La psychanalyse se voit ainsi créée dans un rapport au théâtre.
Dans sa pratique clinique elle-même, Freud, par le truchement du théâtre des corps hystériques de ses patientes, accède à leur théâtre privé. La cure vise à tirer au clair, à rincer par une opération de nature artistique le tissu de l’inconscient.

Sur l’autre scène, celle de nos inconscients, se joue une pièce qui ne s’arrête jamais, qui se répète sans cesse. Sur cette autre scène se joue le fantasme, s’incarnent nos dénégations, nos nœuds et créations névrotiques, de nos constructions perverses.

Si la clinique psychanalytique pourchasse les signifiants, cette scène est la scène où s’agitent nos signifiants. L’autre scène est la scène du rêve de la Traumdeutung de cet insu qui se répète

Le transfert et le dispositif ritualisé de la séance induisent cet insu qui se répète et permettent aussi la découverte et la révélation de cette répétition. Cette révélation est offerte à l’analyste, à ce sujet supposé savoir.

Pour Freud, la scène théâtrale est analogique du dispositif de la cure. Dans le transfert et par le dispositif du divan et de l’association libre, un élément actuel du réel pourra intruser la scène qui se joue dans l’inconscient. Dans une rupture radicale de la scène, une réalité palpable fait subitement irruption, un peu comme retentirait le signal d’incendie pendant une représentation théâtrale. L’analysant sonne les trois coups de son autre scène. Dans la sidération qui suit, la répétition est dévoilée, localisée, c’est l’insight. L’Autre Scène®, c’est faire sonner en chacun ce signal d’incendie.  A chacun de nous son insight singulier, à chacun de nous de ressentir cette révélation, autant l’analysant allongé lors de sa séance que le spectateur assis dans son siège de théâtre. Le corps est en jeu. Les corps des comédiens sont en jeu. La révélation s’inscrit dans une  abréaction. Jacques Lacan écrivait : le théâtre présentifie l’inconscient. Il avait repéré la puissance de présentification allusive et de perlaboration de la mise en jeu théâtrale et l’après coup possible d’une interprétation.

La psychanalyse parce qu’elle s’occupe de l’inconscient est ainsi travaillée par le théâtre.

C’est pour cela que notre association s’appelle L’Autre scène®.

Nous aurions pu aussi nous appeler La secousse. Freud, dans Das Unheimliche, raconte qu’un jour il était seul dans un compartiment de wagon-lit. Lorsqu’à la suite d’une secousse assez brutale un monsieur d’un certain âge en chemise de nuit bonnet de voyage sur la tête entra chez lui. Freud bondit mais comprit bientôt que l’intrus était sa propre image reflétée par le miroir de la porte de communication. Je me rappelle que cette apparition m’avait profondément déplu, écrit-il. Une réalité qu’il ne voulait voir, son vieillissement,  se dévoilait à lui dans une saynète du réel. Cette secousse que Freud décrit dans Unheimliche est l’expérience de la rencontre entre l’inquiétant et le familier. Le dispositif de la scène de théâtre où les corps sont lointains et si proches à la fois, ou les comédiens sont Don Juan, Harpagon, Oblomov, les sœurs Prozorov et  cesse de l’être pour venir ensuite se faire applaudir à la fin de la représentation. L’applaudissement fait fonction d’un signal qui marque le vide entre le personnage et son caractère théâtral, entre  l’étrange et le familier. Ce signal porte le sceau de l’autre, le spectateur qui fait lien et dépose de fait du signifiant dans ce vide. Ce procédé unique, et c’est notre propos, nous fait penser différemment.

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